Le lycée rend hommage au Résistant Yves Bernard

L’émotion était palpable dans la salle Autret du lycée Laennec en ce mercredi 5 avril 2023 : les étudiants de BTS2, en prolongement d’un travail mené en atelier de professionnalisation sur le tourisme de mémoire, entendaient honorer Yves Bernard, ancien élève de l’établissement, arrêté pour faits de résistance et déporté au camp de Dora.

Présidée par Mme Guylène Esnault, la Directrice académique des services de l’Éducation nationale dans le Finistère, la cérémonie d’hommage a rassemblé la communauté du lycée Laennec (élèves et étudiants mais aussi différentes catégories de personnels de l’établissement), en compagnie des deux filles d’Yves Bernard, ainsi que de nombreux représentants des associations patriotiques.

Maelle joue les parfaites maîtresses de cérémonie
En arrière-plan le portrait d’Yves Bernard en tenue de déporté, dessiné par le peintre Léon Delarbre à Dora en 1944

C’est Maelle, remarquable maîtresse de cérémonie, qui raconte la genèse du projet : « Notre classe de BTS tourisme s’est engagée l’an dernier, aux côtés du Souvenir français, dans la réflexion sur la création d’un chemin de mémoire sur le GR34. Nous avons recensé, par tronçons, les lieux de mémoire dans le Pays bigouden Sud. C’est alors que Camille et Mathilde, en charge du secteur de Pont-l’Abbé, ont appris qu’un ancien élève de notre établissement, Yves Bernard, avait œuvré pour la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui lui avait valu arrestation et déportation. Or, rien au lycée ne rappelait ces faits et ces actes courageux. Nous avons donc décidé de porter le projet d’installation d’une plaque mémorielle et remercions vivement M. François Fouré, ici présent, de nous avoir accompagnés au nom du Souvenir français. Merci aussi à Maryvonne Moal pour l’AFMD et Anne Friant de l’ANACR ».

Mathilde et Camille nous racontent le parcours d’Yves Bernard

Mathilde et Camille prennent alors le relais pour présenter, à l’assistance, nombreuse pour l’occasion, le parcours d’Yves Bernard, des bancs de l’École Primaire Supérieure de Pont-l’Abbé aux châlits et paillasses du camp de Dora. « 20 ans. Nous sommes au printemps 1945. Yves Bernard a 20 ans. Mon âge. L’âge de la plupart d’entre nous ici. Il revient juste de l’enfer. Il vient de vivre l’inimaginable : la déportation dans les camps nazis, à Buchenwald, à Dora, puis les si bien nommées marches de la mort.

6 ans auparavant, Yves, n’est encore qu’un jeune de moins de 15 ans, scolarisé, en classe de Première B, à l’EPS de Pont-l’Abbé, l’ancêtre du lycée Laennec. Il déambule dans les couloirs de ce bâtiment, y fréquente les salles de classe où sont dispensés les différents enseignements, s’amuse avec ses camarades, joue au foot sur les terrains extérieurs. Bref, il est un élève comme les autres, ni plus sage ni moins sage, ni meilleur, ni moins bon, mais déjà animé d’une conscience politique et citoyenne qui ne va cesser de croître durant les années qui suivent. Quelques semaines après la déclaration de guerre, c’est la rentrée pour Yves, en classe de 2de désormais. Même si l’insouciance de la jeunesse s’estompe peu à peu, son quotidien n’en est pas encore bouleversé. Cependant l’attaque de l’Armée allemande et son arrivée en Pays bigouden en juin 1940 marquent la fin d’une époque, la fin de son enfance pourrait-on dire. Les bâtiments de l’EPS sont réquisitionnés par la Wehrmacht, Yves fait partie de ceux qui poursuivent leur scolarité dans le « pigeonnier », dans des salles de classe de l’actuelle école élémentaire Jules Ferry. Peu à peu, la présence de l’occupant, les règles instaurées par le régime de Vichy, l’antisémitisme de celui-ci, la restriction des libertés, la collaboration, lui deviennent insupportables.

Deux porte-drapeau : Annick Demairy et Régine Le Lay

C’est lors de la grande fête de la Treminou en septembre 1941 qu’il franchit le pas et intègre la Résistance, au sein des Francs-Tireurs et Partisans (FTP), à la suite de son frère aîné Jean. Il mène alors toute une série d’actions, en particulier la distribution de tracts et de journaux qu’il va chercher à Quimper. La nuit, à vélo, il les rapporte à Pont-l’Abbé. Il les entrepose ensuite chez Corentinik, Corentine Tanniou, qui dissimule dans son commerce l’un des dépôts utilisés par les résistants. Le principal « fait d’armes » du groupe auquel appartient Yves consiste en une inscription, tracée au goudron sur le mur de la salle de cinéma du patronage laïque, à quelques dizaines de mètres seulement de la Kommandantur : « Vive le Front national qui se bat pour la libération de la France ! ». Au nez et à la barbe des Nazis… Quelle audace !

Yves est finalement arrêté, par trois policiers français, au milieu de ses camarades de classe, alors qu’il suit un cours de chimie, le 28 octobre 1942. Il a tout juste 18 ans. Emprisonné à Saint-Charles à Quimper, puis à Montfort-sur-Meu près de Rennes, il est condamné à un an de prison le 21 janvier 1943. Il est d’abord écroué au Pré-Pigeon à Angers durant trois mois, puis à Baugé pendant 9 mois. Ensuite, après avoir pourtant purgé sa peine, il se trouve livré aux Allemands puis transféré au camp de transit de Compiègne, avant sa déportation dans le camp de concentration de Buchenwald, à la fin du mois de janvier 1944. Il a seulement 19 ans. C’est alors le camp de Dora qui l’attend : il y arrive le 18 février 1944, avec la mission de travailler à la construction de fusées V1 et V2. Mais avec ses camarades, il se livre à des petites opérations de sabotage. Résistant un jour, résistant toujours ! Même quand il est piégé entre les pattes de la bête immonde qui lui fait subir toute une série d’expériences médicales, en plus des traitements inhumains du quotidien.

A partir du 4 avril 1945, les nazis procèdent à l’évacuation du camp de Dora. C’est pour Yves et ses compagnons d’infortune le début des marches de la mort, une nouvelle terrible épreuve. Sa débrouillardise et sa force de caractère lui permettent d’échapper à la colonne de prisonniers, en compagnie de Jean Bastié et de Jean Di Domenico, ses « camarades de paillasse », sans doute le 30 avril,… une première libération. Ils sont alors évacués par les alliés lors d’un nouveau périple de plusieurs jours.

Yves est finalement rapatrié en France par Valenciennes puis l’hôtel Lutétia à Paris, avant de regagner son Finistère natal, le 25 mai 1945, à l’âge de… 20 ans. Il revient traumatisé par ce qu’il a vécu mais aussi victime dans sa chair, en tant que cobaye, des expériences médicales menées par les Nazis.

Nous lui rendons hommage en ce jour, 82 ans après son engagement dans la Résistance, 78 ans, après sa libération. Il a sacrifié 4 ans de sa vie, 4 ans de sa jeunesse, la fin de ses études, pour contribuer à la défaite de la bête immonde, pour permettre aux valeurs de la République, à ces valeurs qui nous sont chères, de triompher. C’est un honneur pour nous, étudiants de 2023, qui fréquentons les mêmes salles de classe que lui, de dévoiler cette plaque honorant sa mémoire. La flamme de la résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ! »

Mme Esnault, DASEN du Finistère, prend la parole afin de féliciter élèves et étudiants pour leur engagement en faveur des valeurs républicaines et pour leur hommage à Yves Bernard
Mme Aubertot, Proviseure du lycée : l’École ne doit jamais cesser de jouer son rôle de sanctuaire pour les jeunes qu’elle accueille.

Entrecoupée de discours - Mme Esnault insistant sur la valeur de l’engagement des jeunes, hier comme aujourd’hui, ou Mme Aubertot, la Proviseure, déplorant que l’école n’ait pu jouer son rôle de sanctuaire durant les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale -, la cérémonie aura atteint le point d’orgue de l’émotion par la lecture de poèmes : « Dora » de Stanislas Radinesky, repris avec beaucoup de brio par Faustine, élève de terminale, et « Ne jamais oublier d’Annie Mathieu » que Louane, sa camarade de classe, a récité sans la moindre fausse note.

Faustine nous livre une remarquable récitation du poème « Dora » de Stanilsas Radinesky : elle nous plonge avec émotion dans l’univers concentrationnaire, celui qu’a subi Yves Bernard
Louane nous invite à « Ne jamais oublier », en reprenant les vers d’Annie Mathieu

Du « Chant des marais », au « Chant des partisans », en passant par « Nuit et brouillard » de Jean Ferrat, la musique a joué toute sa partition pour accompagner dignement l’événement. Avant le clou de la cérémonie : le dévoilement de la plaque, opéré par Régine, la fille cadette d’Yves Bernard, et Louison, étudiant de BTS.

La plaque dévoilée par Régine, une des deux filles d’Yves Bernard, en compagnie de Louison, étudiant de BTS
La plaque en hommage à Yves Bernard

Bravo et merci à tous les élèves et étudiants impliqués dans cette matinée qui restera dans les mémoires, aussi bien les personnes chargées de l’accueil que celles qui ont œuvré, avec talent, lors de la cérémonie. La conclusion reviendra à Danielle, la fille aînée d’Yves Bernard « merci de graver ces mots dans la pierre, dans les cœurs. Vous l’avez fait, vous si jeunes, afin que nous ne les oubliions pas. Infiniment merci pour eux. Et pour les générations à venir, ne pas oublier. »

Un très grand merci au Souvenir français du Finistère, et en particulier à la section Pont-l’Abbé/Pays bigouden, pour son aide de tous les instants et son soutien sans faille.